Oui, le burnout frappe aussi les TDS
Le burnout n’est pas le privilège des salariés en col blanc victimes d’un management toxique.
[Papier écrit un vendredi soir, à 22h17, en compagnie d’une (mauvaise) bière tiède à la framboise.]
La crise sanitaire, et économique, liée au Covid-19 aura eu le mérite d’informer le public sur la précarité des TDS (accès au logement, aux soins, remplir le frigo, payer les factures, etc.). Mais combien savent que le burnout ne les épargne pas ? Et de quoi parle-t-on exactement ?
Aussi appelé syndrome d’épuisement professionnel, le burnout se traduit par un sentiment de non accomplissement personnel (dépréciation de ses résultats, sentiment de gâchis), émotionnel (sentiment d’être vidée) et de dépersonnalisation/cynisme (vision négative des autres ou du travail, insensibilité au monde environnement). Il résulte d’une exposition à des situations de stress professionnel (plus d’informations ici).
« Je passe plusieurs jours à ne rien faire du tout »
« Ça date de l’année dernière, aux mois d’avril/mai, confie une escort et camgirl, je pleurais du matin au soir avec un dégoût de l’activité. Je n’avais plus envie de rien faire, j’avais l’impression de m’être trop donnée. Plus aucun appétit. Pendant deux mois, je n’ai pas eu de rapports sexuels dans ma vie privée. J’étais comme dégoûtée par l’acte. »
Une collègue escort-girl témoigne elle aussi d’un mal-être profond, lié au stress engendré par l’instabilité financière de son activité. « C’est assez soudain et récurrent en fin de mois, un peu comme une prise de conscience. Je passe plusieurs jours à ne rien faire du tout / pleurer, et à boire plus que d’habitude. J’essaie de m’arranger pour travailler un maximum en début de mois. »
Chez les TDS, le burnout serait multifactoriel
Pour Mireille Wehrli, infirmière pour l’association communautaire Aspasie* (Genève-Suisse), le burnout serait plus difficile à diagnostiquer chez les TDS.
« Un burnout classique résulte généralement d’un problème au travail (surcharge, harcèlement, etc.). Pour les TDS, c’est multifactoriel : les clients avec qui il faut toujours négocier les tarifs ou le port du préservatif, le stress des loyers et factures à payer, parfois la barrière de la langue qui empêche de connaître ses droits ou de demander de l’aide, la stigmatisation du métier, etc. En gros : c’est un ensemble de facteurs qui peut mener au burnout, les conditions d’exercice y contribuent grandement. » Sans oublier, parfois, le cyberharcèlement ou les conditions sur les tournages. Ou une trop grosse implication personnelle dans le militantisme pour défendre la cause des TDS.
Alors que faire ? Frapper à la porte d’un psychiatre ou d’un psychologue ? Pas à la portée de toutes les bourses. Tout plaquer pour se refaire une santé ? « Les TDS travaillent en indépendantes : elles ne bénéficient pas d’arrêts maladies (certificat médical) et d’indemnités ! Si l’activité s’arrête, pas de revenus. C’est un facteur aggravant », s’emporte Mireille Wehrli.
Mais pas inefficace selon cette escorte qui a intégré des pauses à sa routine professionnelle : « j’ai pris l’habitude de faire des coupures dans mon activité dès que je sens que je perds pied. Et le support de mon amie est aussi très bénéfique. » Une pratique qui trouve écho de l’autre côté de l’Atlantique, notamment chez Annie Sprinkle, ex-performeuse US, ayant mis au point une liste de recommandations à observer (en anglais) en cas de coups durs.
Solliciter son entourage, personnel ou professionnel, constitue aussi une alternative de choix, tout comme les groupes d’entraide/permanences en non-mixité organisés par les collectifs locaux (Les Pétrolettes à Rennes, Zéro Déchet à Caen, etc.). « Il y aura toujours quelqu’un pour donner des conseils, ou simplement écouter. Entre deux histoires rigolotes, on se donne des conseils sur comment esquiver les clients dangereux ou éviter que son contenu ne soit diffusé sur Internet », confie une TDS.
“Les femmes ne sont pas habituées à s’écouter”
Au téléphone, Mireille Wehrli conclut l’entretien sur un dernier conseil : être attentives aux signes bénins. « Une souffrance psychique (déprime, tristesse, burnout) peut se traduire par des douleurs physiques (maux de dos, de nuque, de tête, etc.). En cas de mal être, moral ou physique, prenez contact avec une association d’aide aux TDS. Vous y trouverez des personnes pour vous écouter et vous orienter. Les femmes ne sont pas habituées à s’écouter ou penser à elles-mêmes. C’est parfois difficile de reconnaître que quelque chose ne va pas et de demander de l’aide. »
Jonathan Konitz
*Fondée, entre autres, par l’écrivaine, artiste peintre et prostituée Grisélidis Réal en 1982. Pour les curieuses : https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/un-parfum-de-scandale-45-griselidis-real-1925-2005-ecrivain-peintre-et-prostituee