"Je crains pour l'avenir" : des TDS témoignent de leur baisse de revenus
Avec la crise sanitaire, les revenus des TDS ont diminué parfois drastiquement, en plus d’une clientèle en constante négociation. Pour T’es DéeSse, trois ont accepté de témoigner de cette période.
Maîtresse Ania, domina.
« Avant décembre 2019 j’avais un joli nombre d’habitués et de nouveaux clients régulièrement. Mais déjà, avant la crise sanitaire, il y a eu les grèves de transports, et plus de la moitié de mes habitués avaient arrêté de venir car ils habitent en province et avaient peur de se retrouver bloqués. Même chose pour ceux qui vivent à l’autre bout de Paris ! Et puis, rapidement après la reprise est arrivé le 1er confinement. J’ai pu m’en sortir car j’ai une seconde activité professionnelle, je me sens privilégiée.
J’ai donné de l’argent à des cagnottes pour des TDS plus précaires, je disais aussi à mes clients de faire un don… Quelques-uns m’ont dit qu’ils l’avaient fait.
En juin 2020, post-confinement, j’ai fait le meilleur mois de toute ma carrière de domina ! Des habitués sont revenus, et des soumis qui étaient passés un ou deux ans plus tôt ont eu envie de revenir aussi ! J’ai imposé le port du masque au début, c’était une contrainte pour les clients. J’ai privilégié ceux que je connaissais et fait attention à ceux qui étaient à risques. Depuis septembre dernier, c’est à nouveau compliqué. Je crains pour l’avenir. Je demande un acompte pour fixer une séance, et ces derniers mois les clients ne veulent plus verser l’acompte, on ressent une crainte financière. Ils négocient, “faites-moi confiance”, invoquent des raisons que je n’avais pas entendu avant…
Il y a plus d’annulations, de lapins, de fantasmeurs… Beaucoup de demandes pas sérieuses. Tout est très lent.
Les clients ne bougent plus d’une région à l’autre avec le télétravail, c’est autant de clients potentiels qui disparaissent. Heureusement, j’ai quelques clients fidèles. Certains proposent même de payer une séance d’avance. J’ai refusé, je préfère. D’autres m’ont simplement demandé de mes nouvelles. J’ai aussi davantage de clients aux alentours de la trentaine, on dirait qu’ils ont mis de l’argent de côté avec la crise car il y a moins de sorties, etc. Je commence à me questionner pour un site qui me rapporterait de l’argent… Onlyfans peut-être ? J’ai aussi pris le temps d’écrire un livre, 13 sujets autour du BDSM. L’ouvrage est à vendre en PDF, les acheteurs sont généreux, ça fait un complément de revenus. J’envisage aussi un “Malendrier”, un calendrier du soumis. »
Sasha, escort.
« En septembre, j’ai déménagé, changé de région, donc j’ai perdu mes clients réguliers. Mais avant ça, lors du 1er confinement, je n’avais carrément plus de revenu lié au travail du sexe. Dans la ville où je me suis installé, j’ai un peu galéré à trouver de nouveaux clients, d’autant plus difficile avec le couvre-feu, les re-confinements… Et puis avant j’étais dans un coin plus isolé donc j’étais un peu seul TDS dans un large périmètre… La perte de revenus est donc aussi due à mon déménagement. Par contre, il m’est arrivé un truc sympa. Un client rencontré fin septembre, il voulait qu’on déjeune ensemble, à l’extérieur, faire connaissance avant d’envisager une relation plus intime. Voir si le courant passait. On n’a pas pu se revoir, il est personne à risques, et ne veut pas trop envisager une relation sexuelle pour le moment.
Mais il m’envoie un peu d’argent chaque mois, sans rien demander en retour, parce qu’il imagine que la situation est compliquée pour les TDS, et comme il m’avait dit au 1er rendez-vous qu’on pourrait se voir régulièrement, il ne veut pas me faire faux bond !
C’est chaud d’avoir des clients en ce moment, mais il y a lui, qui m’envoie de l’argent régulièrement. Ça n’arrive pas souvent ce genre de trucs. On ne s’est pas encore revu, mais ça ne saurait tarder j’espère. Il est très gentil et attentionné. »
Emma, escort.
« Le coup de demander une baisse de tarif, ça a toujours existé. S’entendre dire : « Y a pleins de nanas plus jeunes, plus sexy, plus jolies, qui font la même chose pour moins cher », c’est un grand classique de base ! Mais moi qui étais escort, je suis passée en ligne en mars 2020, donc j’ai eu d’emblée ce truc de me retrouver confrontée aux clients d’escorting qui dévaluent complètement les prestations à distance et du coup négocient parce que ça leur semble impensable de payer pour « même pas avoir de rapport sexuel ». Ils dévaluent donc beaucoup ce pan du travail du sexe. Je l’ai toujours un peu fait pourtant, vendre du sexting, des photos et vidéos c’était environ 10% de ma clientèle d’escort qui achetaient ça aussi. Souvent ceux qui voulaient me connaître un peu mieux avant un rendez-vous ou les habitués avec qui j’ai un bon feeling. Et là, d’un coup, c’est la seule chose que je pouvais proposer aux clients.
Il y a eu une énorme pression de leur part pour leur fournir tout ce travail à distance et espérer les revoir après le confinement… En gros ce qui ressortait c’est qu’ils pouvaient tout aussi bien « changer de crémerie ».
Pourtant, beaucoup d’hommes recherchaient de l’attention au début du 1er confinement, mais ils n’étaient pas prêts à payer pour ça. J’avais l’impression que négocier leur donnait une forme de pouvoir dans leur tête, genre “je paye mais c’est moi qui décide combien”. Puis j’ai finalement trouvé une clientèle habituée du “en ligne” et avec eux aucun souci. Le problème est arrivé après mars quand les gens ont commencé à avoir moins d’argent à cause de la crise. Certains ont perdu leur taf, ou gagnaient moins… Une dizaine de mes clients réguliers ont perdu leur travail, se retrouvant au chômage ou au RSA. Ceux-là ont été très humbles, très gentils. Savoir que j’appréciais les tips de 5€ alors qu’avant ils pouvaient tipper 50€, et que je les mette à l’aise sur ça, ça a leur a fait du bien.
Le problème c’est que la concurrence est devenue plus rude, beaucoup de nanas se sont lancées dans le TDS en ligne… Une sorte de “boom Onlyfans” !
Alors des clients en ont profité de manière insidieuse. L’un m’a fait du chantage au désabonnement si je ne sortais pas tel contenu, et ensuite disait qu’il voulait davantage de contenu, pour finir par me mettre la pression… Quand j’ai fini par dire stop, il est parti énervé. Le fait qu’on ait moins la possibilité de dire non, certains en ont profité. Et globalement, c’était plutôt les plus aisés ! J’appelle ça “un trip de pouvoir” et ça me met mal à l’aise, en plus de savoir que je vais perdre ce client à terme. Au niveau financier, c’est les montagnes russes. Après un revenu correct en mars 2020, il y a eu une grosse baisse d’août à octobre, à peine de quoi survivre. C’est remonté en fin d’année, mais depuis janvier c’est le retour de la galère. »
Recueillis par Elsa Gambin