Edito #3 : "Les conséquences des choix politiques du gouvernement français ont été extrêmement cruelles"
Ex-coordinatrice pour la fédération Parapluie Rouge, Eva Vocz accepte de revenir sur ses anciennes missions, mais aussi l'importance des combats menés par l'organisation.
Pourquoi t’étais-tu engagée dans la fédération Parapluie Rouge ?
J’ai commencé début mars 2020, et peu après nous étions confiné-es. Nous sommes assez peu de travailleuses et travailleurs du sexe à faire du plaidoyer. J’en faisais sur le plan local à Marseille et sur la censure des représentations des corps et des sexualités. Plusieurs personnes de la Fédération Parapluie Rouge m’avaient suggéré de postuler pour devenir coordinatrice. J’étais curieuse de cette expérience, et convaincue que je pouvais apporter aux associations une nouvelle dynamique. J’avais envie de leur redonner de l’espoir car ces dernières années avec le délit de racolage passif, les arrêtés municipaux anti-prostitution, la pénalisation des clientes et clients, la menace de censure des sites d’escortes…et la détérioration des conditions de travail et de vie de leur public, la hausse des violences, les suicides et les meurtres…
Comment ne pas avoir l’impression que tout cela est vain?
Pourquoi quittes-tu ce poste de coordinatrice ?
J’ai pris la décision de me retirer du poste de coordinatrice pour différentes raisons. Notamment car c’est un emploi en télétravail et cela ne me satisfait pas étant donné mes conditions matérielles. En tant que militante, ce que j’apprécie c’est avant tout l’humain et c’est vrai que même si j’ai ressenti une forte complicité durant certains échanges, il y a eu aussi des moments éprouvants dans lesquels l’isolement professionnel a été pesant.
C’est pourquoi aujourd’hui je recherche des manières de lutter plus douces, plus personnelles et plus libres.
Je me consacre pleinement à des projets artistiques qui sont axés sur les représentations des sexualités et la défense de celles-ci. Lorsque j’étais en résidence à Latitudes Contemporaines cette année, cela m’a tellement stimulé que j’ai eu une prise de conscience. La crise sanitaire avait interrompu la dimension politique dans la culture, et j’ai davantage soif de ces espaces maintenant.
Quel rôle a-t-elle joué depuis le début de la crise sanitaire ?
Le combat que l’on a porté, qui occupait environ 70% de mon temps, a été de tout faire pour obtenir des aides pour les TDS durant la crise sanitaire, avec pour seules armes notre culot et notre ténacité car nous étions inaudibles à cause des diffamations.
Même si on peut avoir le sentiment qu’il s’agit d’un éléphant qui accouche d’une souris lorsqu’on voit le résultat de ce plaidoyer, on peut aussi reconnaître l’importance de la sensibilité de l’opinion publique, du soutien des journalistes pour faire des ces situations un sujet, et du nombre de mains tendues sur le plan politique.
Je n'entends pas là relativiser : les conséquences des choix politiques du gouvernement français ont été extrêmement cruelles. Je veux juste apporter de la nuance car les luttes sont longues et le combat pour nos droits date de moins d’un siècle, quand en face nous avons des millénaires de morale religieuse. Nous savons que cela est lent à s’effriter.
J’ai mis de côté mes combats personnels pour me mettre au service des associations. J’étais une sorte de “lubrifiant” qui fluidifie le dialogue entre les structures de terrain et les forces politiques ou médiatiques.
Je prenais en compte absolument toutes les situations, si on me disait “à Toulouse une TDS s’est faite virée de sa banque”, j’écrivais au Ministère de la Justice, si on me disait “Une femme transgenre TDS est incarcérée dans une prison d’hommes” j’allais chercher du soutien politique en identifiant les personnes qui sauraient agir sur la situation. Je n’avais pas forcément les connaissances juridiques et la culture politique, mais j’essayais toujours d’identifier les acteurs qui pouvaient débloquer des situations concrètes. A force de discussions et d’heures passées sur le site Légifrance, on finit par comprendre mieux les fonctionnements de notre système politique. Je crois vraiment que ces apprentissages par le concret sont à la portée de toutes et tous.
Quelle est la suite des combats de la Fédération ?
J’ai veillé à ce que les structures aient tout entre les mains pour pouvoir poursuivre les travaux que nous avions amorcé. J’ai fait note en répartissant les tâches pour les choses urgentes avant mon départ. Entre autre pour l’obtention d’une seconde enveloppe du Ministère de la Santé pour des aides alimentaires pour les travailleuses et travailleurs du sexe. Ou sur la question du nombre massif d’OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) ciblant les travailleuses et travailleurs du sexe depuis la montée du couple Darmanin / Schiappa au Ministère de l’Intérieur.
Nous avions aussi créé des groupes de travail sur différents sujets pour des travaux de fond (numérique, mineurs, droits humains,..).
Un plan stratégique est en cours d’élaboration et chaque structure y a été associée pour qu’il puisse répondre aux nécessités identifiées par les TDS consultées.
Maintenant, les prochaines étapes, les prochains combats, le recrutement, tout cela, ce n’est plus de mon ressort.