Charte de déontologie du groupe ARES : Oui-Oui découvre le porno
Le Groupe ARES (Jacquie & Michel, Hot Vidéo, etc.) s’est doté d’une charte de déontologie. Le but : éliminer les pratiques illégales des plateaux des productions que le géant du porno diffuse.
C’est l’organe de presse de Jacquie & Michel, La Voix du X, qui dégaine le premier via un tweet (20/11/2020) : le groupe ARES se dote d’une « charte éthique et déontologique. » Un bébé de six pages, au code couleur de la marque, censé faire place nette dans les productions distribuées par J&M, mais surtout garantir des conditions de travail sereines pour les actrices et acteurs.
Hasard du calendrier (spoiler : non), la publication de la charte intervient après l’ouverture en septembre d’une enquête, par le Parquet de Paris, pour « viols » et « proxénétisme » contre Jacquie et Michel. Et quelques jours à peine avant la publication par Médiapart d’un papier accablant contre les producteurs « Mat Hadix » et « Pascal OP », aux méthodes ignobles (faux tests HIV, actrices droguées, pratiques imposées, etc.).
Six pages, donc. Six pages qui suffisent à gargariser la profession. Promis, plus rien ne sera jamais pareil. Même le concurrent Dorcel planche sur une charte, avec le concours (entre autres) de la productrice et réalisatrice Liza del Sierra, pour une sortie prévue au premier trimestre 2021.
Mais que vaut réellement cette charte « éthique et déontologique » ? La Fédération Parapluie Rouge a accepté de répondre à quelques questions.
“ Cette charte arrive pile au bon moment, pour soigner l’image et le marketing du groupe ARES ”
1/ Suite aux révélations dans la presse, et à l’ouverture d’une enquête pour « viol » et « proxénétisme », le groupe ARES s’est empressé de sortir une charte des bonnes pratiques. Prise de conscience ou opportunisme ?
C’est de la com’. Cette charte arrive pile au bon moment, pour soigner l’image et le marketing du groupe ARES, c’est une façon de se protéger juridiquement et médiatiquement. De se détacher des sous-traitants qui produisent leurs vidéos en cas de plainte. Lors d’un éventuel procès, leur avocat pourra toujours argumenter que le groupe ne travaille qu’avec des studios signataires, et que si affaire il y a, ce n’est pas de leur responsabilité.
“ Idéalement, pour que tout se passe bien sur les tournages, il faudrait un poste alloué à une personne chargée de vérifier si le consentement est respecté ”
2/ En l’état, cette charte vous parait-elle applicable ?
Cette charte est « à l’attention des producteurs français. » Qu’en est-il des producteurs qui basent leur société en Estonie ? Est-ce que ARES ne va travailler qu’avec des sociétés françaises, respectueuses du droit du travail français ? Ce n’est pas garanti. Idéalement, pour que tout se passe bien sur les tournages, il faudrait un poste alloué à une personne chargée de vérifier si le consentement est respecté, une personne à l’affût et prête à tout arrêter en cas de problème. Cela se fait dans certains pays pour les scènes de sexe dans les représentations cinématographiques.
Autre point : la charte précise que « qu’ils (les participants) disposent de revenus leur permettant de vivre sans recourir à la participation à la réalisation des contenus. » Dans quelle profession on demande ça ? En quoi c’est éthique de demander ça ? Et si c’est ton boulot principal, ça se passe comment ? Quand bien même tu as une autre activité à côté, comment tu le prouves ? Avec des fiches de salaire ? C’est une charge de contrôle supplémentaire de la vie personnelle des acteurs, non justifiée par le droit du travail qui réglemente au contraire un seuil de nombre d’heures à ne pas dépasser.
Quant à déclarer sur un document le nom des personnes essentielles au tournage, si ça peut éviter qu’un acteur soit imposé au dernier moment, ou qu’un pote du producteur ne débarque pourquoi pas, mais les acteurs/actrices pourront-ils venir avec quelqu’un pour les protéger sur un plateau ?
“Pour que cette charte soit rassurante, il aurait fallu une allusion à des contrats de travail par exemple, la seule chose qui pourrait protéger un(e) TDS”
3/ La charte prévoit des contrôles « fréquents et inopinés », de la part de « représentant » ou « mandataire du groupe ARES ». Ça vous rassure ?
Non. Qui seront ces représentants ? Des inspecteurs du travail chargés de faire respecter le droit en vigueur ? Pour que cette charte soit rassurante, il aurait fallu une allusion à des contrats de travail par exemple, la seule chose qui pourrait protéger un(e) TDS. Or, le mot « contrat » n’apparait pas une seule fois dans le document ! Un truc utile, ce serait d’avoir un modèle de contrat de travail propre à la profession, qui préciserait une fourchette tarifaire en cachets d’intermittent du spectacle. Un document créé en totale indépendance des producteurs, avec des associations indépendantes. Imposer aux producteurs un modèle de contrat type, c’est lutter contre le travail dissimulé qui est une part du problème.
“Le consentement, c’est plus subtil qu’un bout de papier qui indique que tu as 18 ans.”
4/ A la lecture de la charte, on a l’impression que le groupe ARES découvre les fondamentaux de l’industrie pornographique (consentement, majorité des acteurs, test MST/IST, etc.). Cela vous choque-t-il ?
Pour moi, ce n’est pas qu’ils découvrent quoique ce soit, ARES cherche juste à se dédouaner et à ne pas être tenu responsable en cas de plainte. Vérifier la majorité, c’est faisable, surtout avec un contrat de travail. Mais le consentement, c’est plus subtil qu’un bout de papier qui indique que tu as 18 ans. Par contre, envoyer un contrat de travail en amont du tournage, que les producteurs suivent une formation et/de la prévention sur le VIH, etc., ça serait un bon début.
“Cette charte pourrait préciser que les acteurs/actrices seront sensibilisé(e)s en amont, que de la prévention serait faite, etc.”
5/ En parlant HIV, le document prévoit que le producteur doit s’assurer que les acteurs ont effectué un test « moins de 7 jours avant la réalisation des contenus. » Est-ce un délai raisonnable ? Peut-on penser que le port du préservatif sera optionnel ?
Un test fait à l’instant T n’est représentatif que de l’instant T. Cela témoigne bien du manque de connaissances en matière de réduction des risques et de prévention. Cette charte pourrait préciser que les acteurs/actrices seront sensibilisé(e)s en amont, que de la prévention serait faite, que les mesures d’hygiènes seront respectées, que les acteurs/actrices ont le choix de refuser des pratiques indépendamment de ce qui se vend bien auprès du public, etc.
“Avoir des recours en cas de vol de vidéo.”
6/ Regrettez-vous que cette charte ne concerne que les producteurs français ? Qu’aucune mention ne soit faite d’obligation de rédiger un contrat de travail, ou de cession de droit, à l’image en français ? Que la rémunération doit se faire autrement que de « la main à la main » ?
Des précisions sur le travail dissimulé auraient été utiles. Il est nécessaire d’avoir des contrats clairs sur chaque mode d’exploitation, que les artistes-interprètes touchent aussi des droits sur la diffusion, et puissent avoir des recours en cas de vol de vidéo.
“Il faut ériger un vrai modèle de contrat de travail respectueux du droit.”
7/ La charte ne fait pas mention de droits de diffusion, ou de quelconque cachet d’intermittent, mode de rémunération des acteurs selon le droit français. Encore moins de salaire minimum. Votre réaction ?
C’est là le problème, c’est par là qu’il faut commencer comme je l’ai dit précédemment, il faut ériger un vrai modèle de contrat de travail respectueux du droit. Il faut que la communauté se penche dessus. Avec, pourquoi pas, des formations pour les réalisations et acteurs.
Jonathan Konitz