« Tu l’as jasminé ce client ? »
Le Projet Jasmine, de Médecins du Monde, a fêté ses cinq ans. Le programme, décliné entre autres en un site Internet et une application mobile, facilite le quotidien d’un grand nombre de TDS.
Quiconque a déjà taillé une bavette avec un(e) TDS s’est retrouvé comme deux ronds de flancs à l’énoncé des mots « jasminer un client. » L’expression traduit pourtant une réalité de plus en plus concrète dans le quotidien professionnel de nombreuses escort(e)s et prostitué(e)s : signaler le numéro de téléphone d’un client douteux (violent, poseur de lapin, etc.), sur le site Internet du Projet Jasmine. Si ce dernier appelle d’autres TDS, ayant préalablement installé l’application Jasmine sur leur smartphone, un avertissement apparait à l’écran avec le niveau de menace. A noter que le site internet permet aussi de consulter les alertes déjà lancées.
Début 2021, Jasmine enregistrait près de 17 000 signalements. « C’est un outil hyper-utile, c’est devenu un réflexe. En six mois, ça m’est arrivé trois fois de refuser un rendez-vous avec un client après avoir vérifié son numéro sur le site de Jasmine », confie au téléphone Lucie, escorte dans une petite ville. Elle encourage ses collègues à se servir de l’outil, car “plus nous sommes nombreuses dessus, plus il y aura de signalements donc plus de chances d’éviter un client à problème.” Petit détail d’importance : seul un système de parrainage permet d’entrer dans la danse. Question de sécurité. Pas de panique pour les nouveaux entrants dans le travail du sexe, il est possible de se faire parrainer par une asso.
Version moderne des listes noires de clients
Auparavant, seule l’expérience pouvait permettre à un(e) TDS d’éviter un potentiel client dangereux, ou les blacklists échangées sous le manteau. Même si parfois « vous ne sentez pas la personne mais vous la prenez quand même, pour des raisons financières », admet Anaïs, escorte depuis dix ans et utilisatrice de l’appli’ depuis le début. Elle poursuit : « Jasmine ne protège pas de tout. Vous pouvez tomber sur un client qui était correct mais qui d’un coup devient brutal. Seulement, ça rassure, ça évite de perdre du temps avec des emmerdeurs qui se servent de nous comme exutoire. » Pour Anaïs, le fait que des TDS signalent les clients à problèmes afin de protéger les autres est l’illustration parfaite « d’une communauté très forte et soudée dans l’adversité. »
Nous envisageons une version dégradée de l’appli’ Android pour iPhone, pas exactement la même chose mais au moins proposer un truc. (Salomé Linglet, coordinatrice du Programme Jasmine)
Seule ombre au tableau : l’appli’ Jasmine n’est disponible que sur Android. Pour développer une version iOS, un budget de 40 000 € minimum est nécessaire. « Dans sa version actuelle, l’application interroge une base de données à distance pour scanner le numéro d’un client, détaille Salomé Linglet, coordinatrice du Programme Jasmine, et ça, ce n’est pas possible pour l’instant sous iOS. Nous envisageons une version dégradée de l’appli’ Android pour iPhone, pas exactement la même chose mais au moins proposer un truc. »
Face à la facture salée, l’association tente d’établir des ponts avec le monde de la Tech, de mettre en avant les enjeux de solidarité. Salomé confie : « pour 2021, on aimerait que l’application mobile de Jasmine ne soit plus qu’un simple filtre pour les appels, mais permettent aussi de signaler des numéros, comme sur le site Internet. »
Jonathan Konitz