« Nous demandons l’accès aux droits humains, comme tout citoyen »
Que réclament exactement les travailleur-ses du sexe ? Le mieux, c’est encore de leur demander. Cybèle, porte-parole du STRASS (syndicat du travail sexuel), nous explique tout.
Nous avons vu nombre de travailleur-ses du sexe, et leurs allié-es, interpeller sur les réseaux sociaux les candidat-es à la primaire écolo sur cette question du travail du sexe. Peux-tu expliquer, pour les personnes qui sont intéressées par le sujet mais le connaissent peu, les principales revendications des TDS ?
Notre première demande est bien évidemment la décriminalisation du travail du sexe, en incluant les parties tierces. Nous voulons que le travail du sexe soit reconnu comme un travail et que des travailleur-ses du sexe fassent partie des instances décisionnaires dans tout ce qui les concernent.
Peux-tu développer ce que sont les « parties tierces » ?
Les parties tierces désignent les personnes qui entourent les travailleur-ses du sexe. Aujourd’hui, dans la loi française, le proxénétisme est défini très largement. Dans l’imaginaire collectif, le délit de proxénétisme fait référence à la contrainte, à un grand « méchant », or dans la réalité de la loi, le délit de proxénétisme peut toucher tout l’entourage des TDS : les conjoint-es, les ami-es, le ou la propriétaire du logement loué, les colocataires… Résultat, on vient limiter, entraver, les TDS dans leurs droits les plus basiques, comme avoir un logement. Tout ça vient renforcer les discriminations bancaires, en plus des gestes les plus simples du quotidien, acheter une voiture, offrir des cadeaux à ses ami-es TDS, partager une colocation… Tout cela peut être considéré comme une aide, une protection, un partage ou un encouragement au travail du sexe. Nous avons déjà vu des conjoint-es être condamné-es, des ami-es ou des collègues être criminalisé-es.
Donc ces lois empêchent carrément les TDS de...vivre.
Oui, les conséquences font que chaque geste, chaque projet est énormément limité et contraint. Tout cela est une façon supplémentaire de contrôler les travailleur-ses du sexe. De les rendre vulnérables, de les isoler. Alors oui, il faut lutter contre les abus et les exploitations, contre la traite des être humains, mais nous nous demandons la dépénalisation de tout ce qui est sans contrainte. Notre seconde demande est donc simplement l’accès aux droits humains, au même titre que tout citoyen. À tout ce qui permet aux personnes de vivre, d’avoir accès au droit commun. La sécurité sociale, le chômage, la retraite, les Prud’Hommes…
Cette décriminalisation permettrait également une meilleure protection des TDS ?
Bien sûr. Nous pourrions créer des coopératives, des Scop, bénéficier de portage salarial… Un « bordel autogéré » en somme ! Nous pourrions valoriser nos compétences, nombre d’entre nous ont développé des savoirs en photographie, secrétariat, communication, production de contenus… Cela nous permettrait aussi la valorisation des acquis de l’expérience.
Dans un monde « idéal », quelle serait votre troisième revendication ?
Nous la portons déjà, nous sommes en lutte contre l’exploitation et la traite, et nous souhaitons la régularisation des personnes migrantes, accompagnée de choix politiques beaucoup plus forts. L’énergie des forces policières à débusquer des pseudo « proxénètes » dans notre entourage proche, qui ne sont donc pas des proxos puisqu’il n’y a pas de contrainte, pourrait être déployée ailleurs. Avec la décriminalisation et la régularisation des migrant-es, les travailleur-ses du sexe, comme leurs clients, pourraient dénoncer eux-mêmes les abus, exploitations et/ou maltraitances. Or, nous sommes un des secteurs, comme d’autres, le bâtiment par exemple, où il y a le plus d’exploitation. Toutes ces ressources dévoyées à à la lutte contre des proxénètes inexistants pourraient être utilisées à la lutte contre la traite des êtres humains.
Donc la dépénalisation seule ne suffirait pas à davantage protéger les TDS ?
Non, toutes les recommandations des grands organismes qui accompagnent les personnes migrantes insistent bien sur le fait qu’il faut que ce soit couplé à un vaste programme de santé et d’accès aux droits.
D’où vient cette frilosité (et c’est un euphémisme) politique à aborder le sujet du travail du sexe ?
Les hommes et les femmes politiques sont aux prises avec le lobbying d’un féminisme universaliste « blanc bourgeois ». Ces féministes de la deuxième vague ne veulent pas mêler au travail du sexe les questions de racisme et de discriminations. Nous, nous sommes dans une logique intersectionnelle.
Au final, y a-t-il des partis politiques réellement clairs sur le sujet du travail du sexe ?
Politiquement, l’extrême droite est plutôt libérale sur la prostitution (tant qu’elle est française). Ils sont réglementaristes. À gauche, seuls EELV et le Parti Pirate disent vouloir la décriminalisation et donc l’abrogation de la loi de pénalisation du client, lui aussi considéré comme « une partie tierce ». Du côté de LFI c’est plus compliqué. Techniquement ils ont l’air de vouloir l’abrogation de cette loi, mais Jean-Luc Mélenchon, lui, parle d’« abolition ». Abolition ça veut juste dire qu’on souhaite la fin du travail du sexe mais ça ne dit en rien comment on va lutter pour cette fin. D’autant que dans la réalité, on ne peut pas abolir un fait social. Alors que fait-on ? On lutte contre les personnes. Et c’est exactement ce qu’il se passe pour l’instant.
Propos recueillis par Elsa Gambin
CREDIT (miniature) : JOHN W BANAGAN/GETTY IMAGES